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Il N’Y AURA JAMAIS D’ÉTAT UNITAIRE AU CAMEROUN PAR LES ARMES

APPRENONS DE NOS ERREURS

Quand le problème anglophone commence, les autorités camerounaises prononcent la phrase qui n’aurait jamais dû être prononcée au sujet des Anglophones, à savoir « la forme de l’Etat n’est pas négociable ».

C’était un terrible message pour une Communauté qui avait quand même choisi le Cameroun à l’issue d’une élection sur la base d’un modèle fédéral, alors qu’elle aurait pu choisir le Nigéria, comme la partie Nord. La phrase a été vécue comme une conquête, fournissant aux Sécessionnistes l’argument qu’ils attendaient. Ils n’avaient donc plus qu’à dire : « Vous voyez ? Ils nous ont conquis ! Nous n’existons plus comme Communauté! »

De fait, cette phrase qui visait à faire de l’Etat unitaire une réalité définitive a signé sa mort. Elle a en effet provoqué une spirale infernale totalement incontrôlable dont nous voyons aujourd’hui les terribles effets.

D’abord, elle a déclenché une hystérie collective sous la forme de meetings populaires, où les gens pourfendaient ces « criminels » qui voulaient revenir en arrière et en déclarant l’Etat unitaire irréversible. Des fédéralistes pacifiques ont été arrêtés et l’apologie du fédéralisme fut même interdite dans les médias !

Le Gouvernement se rendait-il compte qu’il s’aliénait davantage cette minorité ? Les Anglophones posaient un problème, et au lieu de garder une certaine réserve, on se mit à les culpabiliser ! Qu’escomptait-on ? Que les dénonciations allaient les amener à s’amender et à présenter des excuses pour leur égarement ?

Il fallait plutôt s’attendre à l’inverse ! La stigmatisation d‘une Communauté par l’autre, à travers des déclarations pompeuses et des dénonciations effarouchées ne pouvait qu’aggraver la fracture entre les deux et pousser à plus de radicalisation, car les Anglophones y lisaient naturellement l’absence de compassion et de sympathie de leurs frères à leur sort.

Bien plus, le Gouvernement est tombé tête baissée dans le piège que lui tendaient les Sécessionnistes, en réprimant les manifestations soi-disant pacifiques, mais en réalité provocatrices de la proclamation de l’indépendance.

Quelques temps plus tard, le Gouvernement a certainement compris et mis une sourdine à cette logique de stigmatisation qui ne faisait qu’aggraver la situation. Mais le mal était fait et la Sécession était déjà là. Les sécessionnistes, après avoir vécu sous une forme larvaire pendant des décennies, avaient enfin trouvé l’argument qui leur manquait, qui leur attirait l’adhésion de la majorité de la population et surtout, qui pouvait grossir leurs troupes agressives et belliqueuses.

Au Sud-ouest et au Nord-ouest maintenant, l’Etat s’est littéralement réfugié dans les grandes villes bunkérisée, pendant que les rebelles font la loi dans les campagnes et les petites villes. Ils deviennent de plus en plus courageux, de plus en plus sanguinaires, de plus en plus audacieux, ne craignant plus de s’attaquer au Gouverneur, chassant les sous-préfets dont ils brûlent les services, dévalisant les Commissariats, et tuant les militaires. Bien plus, ils assurent le contrôle de certains axes routiers et imposent leur rythme à l’administration et l’éducation.

Quand on voit les énormes moyens déployés pour mettre fin par la force à ce mouvement, il apparaît évident que nous ne nous en sortirons pas par des moyens militaires. Et cela, un grand nombre de personnes en convient.

Maintenant que vient la fête du 20 mai, ne peut-on pas éviter cette stigmatisation qu’on note dans les médias publics ? Pour les Sécessionnistes, cette fête est le symbole même de leur soumission.

Est-il habile d’en faire l’hagiographie de manière aussi agressive ? La série d’éditoriaux des personnalités venant d’horizon divers condamne sans appel les gens armés qui veulent modifier l’Etat unitaire, mais est-ce vraiment avec ce genre de discours qu’on peut renforcer les seuls Anglophones qui peuvent encore sauver la mise, à savoir les fédéralistes ? N’est-ce point un moyen de les isoler encore, de les affaiblir davantage tout en renforçant la Sécession, trop heureuse d’engranger de nouveaux candidats au détriment des fédéralistes qu’ils détestent comme la peste ?

A quoi sert-il de faire la promotion de l’unité nationale et autres considérations aux francophones, si les Anglophones qui ont pris des armes ne vous écoutent pas ? N’est-ce point précisément ce genre de discours qui a aggravé la situation ? Ne pouvons-nous pas réfléchir sur un discours qui rassure quand même ceux des Anglophones qui sont hostiles à la sécession, mais qui ne trouvent aucune oreille attentive auprès du Gouvernement ?

Le discours tenu par les médias publics ne me parait pas approprié aux circonstances actuelles. D’abord parce qu’il est intellectuellement vicié, puisqu’il tend à assimiler l’unité nationale à l’Etat unitaire, ce qui est totalement faux. Le Cameroun n’est pas plus uni que le Nigéria voisin ou l’Ethiopie, et encore moins la Suisse, l’Allemagne ou les Etats-Unis qui sont fédéraux.

Ensuite, ce discours renforce l’adhésion à la Sécession en les confortant davantage dans leur soi-disant statut de pays conquis! En réalité, il reprend les mêmes attitudes que les Anglophones ont considérées comme des provocations et qui ont mis de l’huile dans le feu.

Non ! Le discours aujourd’hui aurait dû être un regard rétrospectif sur l’unité basée sur l’Etat unitaire et sur la philosophie qui avait prévalu. On aurait dû évaluer l’actualité de cette formule et envisager d’éventuels réaménagements puisqu’elle ne marche manifestement plus.

Nous avons très mal réfléchi sur le problème anglophone et nous l’avons négligé sur la base d’une désinvolture coupable. Certains en étaient même venus à comparer la sécession à BOKO HARAM et à lire dans nos succès la préfiguration de ce qui allait arriver aux Anglophones.

Or, il vaut mieux 10 BOKO HARAM qu’une seule Sécession. La Sécession est une rébellion particulière qui a les traits d’un Mouvement de libération. C’est la terreur de tous les pays du monde, sans exception, et vous ne pouvez rien contre une Sécession de grande ampleur si vous ne la sous-traitez pas à un Etat local.

Même des pays autrement plus développés, disposant d’une puissante industrie et fabriquant leurs propres armes se sont cassé les dents et ont dû céder. La France a été obligée d’accorder à la Corse un statut Spécial, avec une Assemblée et un Sénat ! La Grande Bretagne a donné une autonomie pratiquement confédérale à l’Irlande du Nord qui dispose d’une équipe nationale de Football et d’une monnaie. La grande Russie du puissant Poutine a reculé devant la Tchétchénie qui est devenue pratiquement indépendante. Et il en est de même de la Chine avec le Tibet.

Nous ne pouvons pas échapper à ce destin. Les Anglophones ne peuvent pas battre l’armée Camerounaise, mais ce n’est pas un problème militaire : nous sommes ici en présence d’une désobéissance civile armée, dans laquelle on ne sait qui est l’ennemi et qui ne l’est pas.
Cette désobéissance a pour but de chasser l’Etat et rendre sa présence terriblement coûteuse et insupportable. Et cela, ils vont réussir si des mesures politiques fondamentales ne sont pas prises.

Et ce sont ces mesures qu’il faut prendre maintenant en mettant fin à l’Etat unitaire en leur opposant la puissance d’un Etat local qui va sous-traiter le problème.

Et il fat le faire de manière totale, sans fioriture, sans faux-fuyant. Des demi-mesures comme la décentralisation ne peuvent plus marcher ; en tout cas, elle ne sont plus en mesure de réduire la sécession. C’est trop tard. Beaucoup trop tard.

Il faut aller à la fédération, car ce qui est maintenant en jeu, c’est moins le contenu de l’Etat unitaire que le symbole contenu dans le mot « unitaire ». C’est ce mot dont les Anglophones ne veulent plus entendre parler ! Et c’est le mot-là qu’il faut supprimer pour avoir la paix, car il est porteur de guerre.

Il n’y aura aucune paix au Cameroun tant que le mot « unitaire » figure dans notre Constitution. Il faut l’enlever et continuer à parler de l’unité du Cameroun, mais dans un Etat fédéral!

Dieudonné ESSOMBA

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