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BOLLORÉ DEVANT LA BARRE POUR AVOIR FINANCÉ LES DICTATEURS AFRICAINS

 

Une bombe judiciaire. Selon nos informations, plusieurs dirigeants du groupe Bolloré, dont Vincent Bolloré lui-même, vont être prochainement auditionnés à la demande des juges parisiens Serge Tournaire et Aude Buresi, habitués des grandes enquêtes politico-financières. En effet, la justice soupçonne le groupe Bolloré d’avoir financé la campagne électorale de dirigeants africains, qui par la suite, lui ont accordé des concessions portuaires. Deux pays sont dans le collimateur : la Guinée, où Alpha Condé, conseillé par Havas, a remporté les élections, en novembre 2010, puis a éjecté manu militari le concessionnaire du port de Conakry, Nécotrans, pour confier le marché à Bolloré. Et le Togo où le président Faure Gnassimbé, qui a lui aussi bénéficié du conseil de Havas, a attribué la gestion d’un terminal à conteneur de Lomé à l’industriel français, juste après son élection en 2010.
Après avoir saisi de nombreuses pièces comptables, lors de leurs perquisitions chez Havas, en 2014 et 2015, puis au siège de Bolloré, à Puteaux, en avril 2016, les enquêteurs ont acquis la conviction que des dépenses électorales des présidents guinéens et togolais ont été prises en charge par le groupe Bolloré. Et le risque judiciaire pour le groupe du milliardaire breton est à prendre au sérieux, avec des qualifications pénales potentiellement lourdes : abus de bien social et trafic d’influence. « En Guinée et au Togo, le groupe Bolloré a été choisi uniquement pour ses compétences et sa capacité à réaliser les investissements portuaires, que ses concurrents n’avaient pas réalisé par le passé », rétorque un porte-parole du groupe.
Expulsion du port de Conakry
C’est une affaire qui avait défrayé la chronique, en Afrique. En mars 2011, le nouveau président de Guinée, Alpha Condé, envoie la gendarmerie pour déloger le concessionnaire du port, le français Necotrans. Motif : « Les investissements promis n’ont été réalisés. Et le personnel local n’a pas été formé », soulignait, à l’époque, Dominique Lafont, qui dirigeait la filiale Bolloré Africa Logistics –il a quitté le groupe en 2014. Une visite du site avait même été organisée pour les journalistes afin de montrer l’état déglingué des installations. Les autorités guinéennes avaient alors attribué le marché à l’entreprise arrivée en deuxième position dans l’appel d’offres, lancé pour la gestion du port : Bolloré. Necotrans avait alors dénoncé un « hold up » et une « éviction arbitraire ». Sans effet. En août dernier, ce groupe, en redressement judiciaire, a même été repris, à la barre du tribunal de commerce par…Bolloré.
Le dossier a rebondi récemment, de façon incidente, suite aux investigations des enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) dans une autre affaire visant la société Pefaco. Basée en Espagne, cette entreprise est dirigée par Francis Pérez, proches de plusieurs chefs d’État africains, qui a beaucoup investi dans l’hôtellerie et les jeux en Afrique. C’est en examinant les relations entre Francis Pérez et Jean-Philippe Dorent, partner, responsable du pôle international Havas Paris, que les policiers sont remontés jusqu’à Bolloré.
Havas très actif en Afrique
Dans cette affaire, Jean-Philippe Dorent est un homme clé (il n’a pas répondu à nos sollicitations). Très actif pour développer les activités africaines de Havas, il a multiplié les prestations de conseil sur le continent, comme Alpha Condé en Guinée et Faure Gnassimbé au Togo. « C’est un fantasme de penser qu’un coup de main à la campagne d’un candidat à la présidentielle qui faisait figure d’outsider comme Alpha Condé permettrait l’obtention d’un port », déclarait-il au « Monde », en avril 2016, au sujet de l’affaire du Port de Conakry, la capitale guinéenne. Certes, Havas a affirmé à l’AFP avoir cessé « toute communication politique » depuis 2011. Cela n’a pas empêché Jean-Philippe Dorent de conseiller Paul Bya, président du Cameroun depuis 35 ans, lors de la COP 21 en 2015 ainsi que l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, pendant la campagne présidentielle au Bénin, début 2016. Et à l’automne 2017, il a été très actif au Congo, dans l’entourage du président Denis Sassou Nguesso.
En tout cas, cet épisode judiciaire constitue une nouvelle mésaventure de Vincent Bolloré dans ses activités africaines, détaillées dans une longue enquête publiée dans Challenges, en kiosque le 12 avril (« Afrique : la série noire de Bolloré). D’abord, le grand projet de l’industriel breton de réaliser la boucle ferroviaire ouest-africaine -la construction et la réhabilitation de 3000 kilomètres de voie ferrée de Cotonou à Abidjan, la capitale ivoirienne, en passant par le Niger et le Burkina Faso- a échoué. Ensuite, au Cameroun, le groupe a vécu un traumatisme, le 21 octobre 2016, avec le déraillement du train géré par sa filiale Camrail, qui a fait 79 morts et 551 blessés. Enfin, la clé de voûte de ses implantations africaines, les concessions portuaires, connaît des signes d’essoufflement, après la conquête des années 2000 à 2015, à cause de la concurrence asiatique. Toujours très rentable, l’empire africain de Vincent Bolloré est devenu une source d’ennuis, qui s’accumulent dangereusement…

David Bensoussan, Thierry Fabre et Antoine Izambard

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