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ATANGA NJI ET DES BARONS DU RÉGIME IMPLIQUÉS DANS L’ASSASSINAT DE LA GARDIENNE DE PRISON

Par Michel Biem Tong, journaliste web en exil

Depuis que circule sur les réseaux sociaux la vidéo montrant l’assassinat horrible de Florence Ayafor, gardienne de prison en service à Bamenda par un groupe de jeunes non-identifiés, aucun communiqué officiel n’a jusqu’ici été publié gouvernement camerounais. Du côté des indépendantistes anglophones, le Conseil de sécurité de l’ « Ambazonie » a condamné cet acte odieux à en croire baretanews, site d’information de l’activiste indépendantiste Mark Bareta. Pour les activistes proches du régime Biya sur les réseaux sociaux, les séparatistes armés sont responsables de cet assassinat odieux qui heurte les âmes sensibles.

Sur la base des témoignages, des faits et indices troublants rassemblés par www.hurinews.com sur ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Florence Ayafor, démêlons l’écheveau de ce crime crapuleux pour en exposer les pistes conduisant aux éventuels responsables. Cour pénale internationale, Human Right Watch (HRW), Amnesty International, Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac), over to you !

1-CONTEXTE DU CRIME

C’est dans un contexte de conflit entre d’un côté les forces armées du Cameroun et de l’autre les groupes armés indépendantistes anglophones que Florence Ayafor a été assassinée. Le gouvernement camerounais qui revendique l’unité et l’intégrité du Cameroun se bat contre les indépendantistes anglophones qui estiment que le Southern Cameroons est indépendant depuis le 1er octobre 1961 et n’est pas une partie de la République du Cameroun, indépendante, elle, depuis le 1er janvier 1960. La zone anglophone concentre une bonne partie des richesses du Cameroun dont le pétrole qui est convoité par la France. Voilà pourquoi cette dernière n’a jamais voulu que le peuple anglophone jouisse d’une quelconque autonomie.

2-POURQUOI AYAFOR FLORENCE A ETE CIBLEE

Mère de 3 enfants, Florence Ayafor était une gardienne de prison en service à la prison centrale de Bamenda, dans le nord-ouest anglophone du Cameroun. D’après l’ONG Center for Human Right and Democracy in Central Africa dirigé par l’avocat anglophone Me Agbor Balla Nkongho, c’est de retour des funérailles à Pinying (village situé au nord-ouest anglophone du Cameroun) le 29 septembre dernier qu’elle a été abordée par une bande de jeunes gens non-identifiés (dont faisait partie un ex-prisonnier qui l’a reconnu, à en croire des sources locales). D’après la vidéo de son assassinat qui circule sur les réseaux sociaux, on voit ses ravisseurs la trimballer à des centaines de mètres, la dépecer à partir des parties génitales, l’égorger. Horrible !

Qu’est ce qui peut bien justifier une telle cruauté envers cette pauvre dame qui ne demandait qu’à rejoindre son poste de travail à Bamenda en provenance de son village Pinying ? Son statut de gardienne de prison, c’est-à-dire geôlière de prisonniers de la crise anglophone pouvait amener les séparatistes à en faire une cible privilégiée. Mais d’après des informations obtenues d’un proche de détenu à la prison centrale de Bamenda, ce fut une femme gentille et attentionnée vis-à-vis des prisonniers notamment ceux arrêtés dans le cas de la crise anglophone : « Mon frère et ses amis étaient détenus à Bamenda. Ils étaient accusés de collaborer avec les Amba Fighter (les combattants séparatistes, ndlr) et c’est grâce à cette femme que j’ai pu avoir accès à eux mais ses collègues francophones n’appréciaient pas cela. Mon frère m’a dit qu’elle était gentille envers lui et d’autres prisonniers », témoigne un habitant de Bamenda qui a contacté www.hurinews.com. Dans un direct sur son compte Facebook le 4 octobre dernier à 15h50, Paul Nillong, activiste anglophone pro-indépendance vivant en Allemagne, révèle que Florence Ayafor leur fournissait des informations utiles pour leur révolution. Sans en préciser le canal encore moins le type. Et si sa relation avec les milieux indépendantistes anglophones était le mobile de son assassinat…

3-LES SEPARATISTES ARMES, RESPONSABLES DE CET ASSASSINAT ?

D’après des sources proches du mouvement indépendantiste anglophone, l’effectif des groupes armés séparatistes culmine à près de 20 000 hommes parmi lesquels des soldats des armées étrangères retournés au pays, des jeunes ayant participé au service militaire au Nigéria voisin. Dans les 13 départements que comptent les deux régions anglophones du pays, on retrouve au moins un groupe armé dirigé par un « general » ou un « commandant ». Chaque groupe est rattaché soit au Interim Government, soit à l’Ambazonian Government Council, des conseils de gouvernement de l’ « Ambazonie » dirigés depuis l’étranger.

La particularité de ces groupes armés est que chaque membre est un fils du territoire. Ainsi dans chaque village où on les retrouve, il est facile d’identifier un membre des « Restorations Forces », de dire qui est son père, qui est sa mère dans le village. Ces groupes armés vivent en parfaite harmonie avec les populations locales. Même au sein de l’armée camerounaise, cela est su : « les populations se sentent plus en sécurité aux côtés des sécessionnistes que de notre côté », peut-on lire dans une note confidentielle adressée par des soldats camerounais à la « haute hiérarchie » (Paul Biya) le 21 juin 2018 (la note a circulé sur Whatsapp et n’existe pas en version papier. Le ministère camerounais de la Défense ne l’a jamais démenti).

C’est cette population qui leur donne à manger, qui les renseigne. Ces groupes armés vivent aussi des contributions de leurs frères de la diaspora pour se nourrir et pour l’achat des armes. Par exemple, pour le groupe armé du Fako (chef-lieu Buea), ce sont tous les membres de la diaspora originaires du Fako qui lèvent des fonds pour lui acheter armes et munitions ainsi que le nécessaire pour sa ration.

Est-il donc possible que ce soit les groupes armés séparatistes qui aient tué cette pauvre gardienne de prison ? Pas sûr. Du moins si on s’en tient aux témoignages plus haut à son sujet. D’abord parce qu’elle collaborait régulièrement avec les indépendantistes anglophones et couvrait les prisonniers de la crise anglophone de son attention. Et même si par extraordinaire ils étaient responsables de ce crime, ils ne prendraient jamais le risque de le filmer puis le publier de peur d’exposer leur commandant-en-chef dans la diaspora à des poursuites judiciaires devant les juridictions internationales, de peur de perdre la sympathie de la population locale et les financements qui leur viennent de leurs frères de la diaspora.

En guise de rappel, lorsque le 17 juillet dernier, la vidéo des actes de tortures sur des femmes et jeunes filles dans la localité de Bali Nyongha (nord-ouest) a circulé, l’activiste anglophone pro-indépendance vivant en Belgique Mark Bareta a affirmé que ces actes étaient l’œuvre des groupes séparatistes armés et a prescrit au commandant de cette zone de sanctionner les fautifs. Ce qui fut fait. C’est la preuve que des actes barbares sur les populations ne sont pas tolérés au sein du mouvement indépendantiste anglophone. Alors qui a donc tué Florence Ayafor ?

4-NKONDA TITUS AGHEN AKA MA KONTRI PIPO THEM, SUSPECT N°1, LES SERVICES SECRETS CAMEROUNAIS MIS EN CAUSE

Anglophone originaire de Wum, dans le nord-ouest, Nkonda Titus Aghen aka « Ma Kontri Pipo Dem » (mes compatriotes en pidgin english) vit en Angleterre où il exerce au sein de la Marine anglaise comme soldat. Des informations (que nous n’avons pas pu vérifier) font état de ce qu’il dût voler le passeport avec visa de son frère pour s’y retrouver. Ma Kontri Pipo est aussi un activiste dont la spécialité est de mener une contre-propagande des mouvements indépendantistes anglophones. En un mot comme en mille, Ma Kontri Pipo Dem est le maillon fort du pouvoir de Yaoundé dans la bataille de l’opinion internationale contre les séparatistes anglophones
S’agissant de l’assassinat de Florence Ayafor, quelques faits troublants méritent l’attention, lesquels rendent Ma Kontri Pipo Dem plus que suspect. D’abord, l’assassinat intervient le 29 septembre 2019 et le 30 septembre 2019 c’est-à-dire quelques heures seulement plus tard, deux vidéos de l’assassinat (l’une de 2’20’’ et l’autre de 2’15’’) se retrouvent déjà sur son site internet kontripipo.com.

Plus curieux encore, dans son commentaire de ces vidéos sur le site, Ma Kontri Pipo décrit le mode opératoire des assassins (violée, kidnappée, égorgée et mutilée), ses origines (Awing), sa profession (gardienne de prison), son nom complet (Ayafor Florence) et les circonstances de son assassinat (elle revenait des funérailles à Pinying). Bien entendu, Ma Kontri Pipo Demn s’empresse d’accuser les séparatistes armés d’avoir commis ce crime, sans qu’il y ait eu la moindre investigation. Bien plus, il cite nommément l’un des assassins, Asobo Roger.

Alors question. Comment Ma Kontri Pipo Dem (et personne d’autres que lui), activiste anti-ambazonien, a-t-il réussi l’exploit d’obtenir en l’espace de quelques heures des images des actes des séparatistes armés contre lesquels il se bat pourtant ? Comment à l’heure près, il a pu avoir toute les informations sur la victime, sur un de ses bourreaux et sur les circonstances de sa mort ? Rien à faire. La collusion entre Ma Kontri Pipo Dem et certains groupes terroristes pro-gouvernementaux en zone anglophone est plus qu’évidente. Ces derniers, après avoir filmé un crime ou alors un scénario de torture, envoie la vidéo à Ma Kontri Pipo Dem pour publication afin de donner à l’opinion internationale une image de terroriste des forces séparatistes.

Les responsables des services secrets camerounais (Délégation Générale de la Recherche Extérieure, Sécurité Militaire) doivent également dire à la commission d’enquête internationale comment Ma Kontri Pipo Dem est en possession de toutes les informations sur la victime quelques heures seulement après son assassinat ? Il n’y a donc pas de doute que cette gardienne de prison soupçonnée d’être proche des séparatistes anglophones faisait l’objet d’une filature avant sa disparition. De fortes possibilités d’une collaboration entre les services de renseignements, Ma Kontri Pipo Dem et le gang de voyous qui se livrent à un certain nombre de pratiques contre-révolutionnaires en zone anglophone existent.

5-ASOBO PIUS NGU, LE FON DE MENKA, PÈRE D’UN DES ASSASSINS

Quelques heures après l’assassinat brutal d’Ayafor Florence, Ma Kontri Pipo Dem s’est empressé de citer l’un des assassins : Asobo Roger. La stratégie est simple : brouiller les pistes afin que la responsabilité du pouvoir de Yaoundé ne soit nullement engagée dans cette affaire. Voilà pourquoi depuis 2 jours, la rumeur sur la « neutralisation » par l’armée des auteurs de ce crime odieux se répand sur les réseaux sociaux.

D’après nos investigations, Asobo Roger est le fils du chef traditionnel de Menka, Asobo Pius Ngu. Au moment où ce crime est perpétré, ce dernier est déjà à Yaoundé pour prendre part au dialogue national à l’invitation du gouvernement. Pour mémoire, c’est ce même chef traditionnel qui, le 25 mai 2018, a regroupé près d’une trentaine de jeunes gens dans un hôtel du village Menka avant qu’ils ne soient froidement assassinés par les hommes armés venus de Yaoundé. Le crime de ces jeunes est de n’avoir pas su jouer le rôle des séparatistes armés tels que recommandés par l’élite du village basée à Yaoundé. Le Fon de Menka devra s’expliquer si c’est sous sa bénédiction que son fils s’est retrouvé dans le gang qui a assassiné la gardienne de prison. Lui qui est proche de certains dignitaires du régime de Yaoundé, dont Paul Atanga Nji.

6-PAUL ATANGA NJI ET ADOLPHE LELE LAFRIQUE DOIVENT S’EXPLIQUER

Homme d’affaires, ancien agent des services secrets camerounais, secrétaire du Conseil national de la sécurité (en charge de centraliser le renseignement), Paul Atanga Nji est depuis le 2 mars 2018, ministre de l’Administration territoriale. Originaire de Santa, arrondissement dont dépend Pinying où le crime a été perpétré, Atanga Nji est accusé par les populations anglophones locales d’entretenir une milice qui kidnappent contre rançons, qui tuent, décapitent, l’objectif étant de dresser l’opinion internationale contre les séparatistes.

Au cours de l’émission « La vérité en face » diffusée sur la chaîne de télévision camerounais Equinoxe Télévision le 22 juillet dernier, le magistrat à la retraite Paul Ayah Abine qui vit à Mamfe (sud-ouest anglophone) a révélé que Paul Atanga Nji entretient des groupes armés dans le Cameroun anglophone. Il est certes difficile d’établir à 100% le lien entre l’actuel ministre de l’Intérieur et les assassins de Florence Ayafor mais certains indices laissent croire que l’ombre d’Atanga Nji plane sur Ma Kontri Pipo et le gang de voyous qui lui envoient régulièrement les vidéos de leurs « faits d’armes » pour publication en vue de « détruire » la réputation des séparatistes anglophones.

En effet, au lendemain de la publication le 16 septembre dernier par le même Ma Kontri Pipo Dem d’une vidéo montrant une jeune fille prétendument enterrée vivante à Guzang (nord-ouest) par des séparatistes, Paul Atanga Nji, dans une correspondance adressée au gouverneur du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique, demande à ce dernier, non sans avoir pris le soin de condamner les « terroristes sécessionnistes » sans la moindre enquête, d’ouvrir une enquête à l’effet d’interpeller les suspects et les traduire en justice, de réserver des obsèques et une sépulture digne à la jeune fille enterrée vivante et surtout d’encourager les actions des comités de vigilance.

En rédigeant cette lettre quelques heures seulement après la mise en circulation de cette vidéo, Atanga Nji donnait l’impression de travailler en collaboration avec Ma Kontri Pipo Dem qui l’a publié sur les réseaux sociaux. En demandant au gouverneur Lele Lafrique d’encourager l’action des « comités de vigilance », Atanga Nji fait-il allusion à la milice qu’on lui prête ? De quels comités de vigilance parle le ministre dans un contexte où les forces indépendantistes anglophones sont soutenues par la population ?

Atanga Nji et Lele Lafrique devront expliquer devant la commission d’enquête en quoi consiste le travail quotidien de ces comités de vigilance que les Camerounais n’ont jamais vu, quel est leur matériel de travail ainsi que la provenance des financements qui leur sont accordés, quels sont leurs faits d’armes dans le cadre de la crise anglophone ainsi que les résultats obtenus. Atanga Nji et Lele Lafrique devront également dire si ce ne sont pas ces « comités de vigilance » qui sont à l’origine de l’assassinat crapuleux de Florence Ayafor. Ils devront aussi dire à la commission comment une fille annoncée pour enterrée vivante se retrouve au palais des Congrès au côté des « ex-combattants » s’il n’existe pas une connexion entre eux et ceux qui ont monté cette scène ?

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