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LE MALI ACCUSE LA FRANCE DEVANT L’ONU

Le Premier ministre malien a accusé la France, samedi 25 septembre, d’un « abandon en plein vol » avec sa décision de retrait de la force Barkhane. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli (…), nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires », a déclaré Choguel Kokalla Maïga à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il s’agit de « combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le nord du Mali », a-t-il précisé, déplorant une annonce « unilatérale » sans coordination tripartite avec l’ONU et le gouvernement malien.

Dans un contexte de menace jihadiste accrue, « l’opération française Barkhane annonce subitement son retrait en vue, dit-on, d’une transformation en coalition internationale dont tous les contours ne sont pas encore connus », a insisté Choguel Kokalla Maïga. Et d’ajouter : « en tout cas, pas de mon pays, pas de notre peuple ». « Le Mali regrette que le principe de consultation et de concertation, qui doit être la règle entre partenaires privilégiés, n’ait pas été observé en amont de la décision », a poursuivi le Premier ministre malien.

Il a réclamé que la mission de paix Minusma de l’ONU et ses 15 000 Casques bleus aient « une posture plus offensive sur le terrain », pour répondre au retrait de la force Barkhane. Cette prise de parole intervient au lendemain de la mort du caporal-chef Maxime Blasco, tué par un tireur embusqué lors d’une opération contre des jihadistes au Mali.

Le caporal-chef Maxime Blasco, du 7e bataillon de chasseurs alpins de Varces (Isère), est mort au combat « contre un groupe armé terroriste », vendredi . Il avait reçu en juin la médaille militaire « pour la valeur exceptionnelle de ses services », a précisé l’Élysée dans un communiqué. Son décès porte à 52 le nombre de soldats français tués au Sahel depuis 2013 dans les opérations antijihadistes Serval puis Barkhane.

Ce nouveau décès intervient alors que Paris a revendiqué la « neutralisation » en août au Mali du chef du groupe jihadiste État islamique au Grand Sahara (EIGS), Adnan Abou Walid al-S ahraoui, une opération qualifiée de « succès majeur » pour la France à l’heure où ses troupes se réorganisent au Sahel pour se concentrer sur la lutte antiterroriste.

Mais il intervient aussi dans un contexte tendu entre Paris et la junte au pouvoir à Bamako, laquelle envisage de conclure un contrat avec la sulfureuse société paramilitaire russe Wagner, décrite comme proche du pouvoir russe. Un déploiement de ces mercenaires serait « incompatible » avec le maintien au Mali des troupes françaises, qui combattent depuis huit ans les jihadistes au Sahel, a averti le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian.

Une présence « absolument inconciliable » avec celle des troupes françaises. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a vertement réagi, mercredi 15 septembre, à la possibilité d’un accord entre le Mali et le sulfureux groupe paramilitaire russe Wagner pour le déploiement de mercenaires dans le pays.

Selon l’agence Reuters, un contrat serait sur le point d’être signé entre la milice proche de Vladimir Poutine et la junte malienne pour le déploiement de plusieurs centaines de personnels russes, chargés de former les soldats maliens et d’assurer la protection de certains hauts dirigeants.

Ce possible rapprochement entre la Russie et le Mali n’est pas sans rappeler l’étroite collaboration sécuritaire et économique nouée entre les deux pays du temps de l’URSS. Un sujet délicat pour Paris et Moscou qui ravive des tensions historiques.

Le 23 octobre 2019, plus de quarante chefs d’État africains sont réunis à Sotchi lors du sommet Russie-Afrique. Un événement historique par lequel Vladimir Poutine compte officialiser le réengagement de la Russie sur le continent africain. Présent sur place, le président malien, désormais déchu, Ibrahim Boubacar Keita se lance dans une offensive de charme : « Nous avons besoin que votre amitié se manifeste dans un domaine dont chacun sait que vous êtes champion, la lutte contre le terrorisme. Vous l’avez dit vous-même que vous êtes qualifié dans ce domaine monsieur le président Poutine. Cette qualification, nous en avons besoin aujourd’hui. »

Embourbé depuis 2012 dans une lutte sans fin contre les jihadistes, le pays connaît depuis plusieurs années une dégradation de sa situation sécuritaire malgré l’opération antiterroriste internationale Barkhane, dirigée par la France au Sahel.

Épisodiquement, des manifestations éclatent pour demander le départ des troupes françaises. Des manifestations où fleurissent parfois des drapeaux russes.  « Il existe un vieux rêve malien, actuellement brandi par les courants dits patriotes, de voir le pays rompre avec la France pour embrasser une coopération avec Moscou »,  explique  Niagalé Bagayoko, docteure en science politique, spécialiste des questions de sécurité en Afrique francophone. « Ce vœu renvoie à une vision fantasmée de la coopération nouée avec l’URSS et le bloc soviétique, notamment sur le plan militaire, par le président Modibo Keïta et poursuivie par son successeur Moussa Traoré. Il est également véhiculé par la France, qui ne cesse de dire que la Russie veut prendre sa place. »

Au début des années 1960, qui marquent la fin de l’ère coloniale pour la plupart des pays d’Afrique, l’URSS s’engage dans une stratégie d’alliances sur le continent. Le bloc soviétique se trouve alors un parfait allié en la personne du premier président malien, Modibo Keïta, socialiste, qui souhaite rompre avec l’ancienne puissance coloniale. L’URSS reprend alors la recherche de ressources minières, jusqu’ici gérée par la France, et fournit en parallèle équipements et formation militaires au pays. « L’URSS, qui bénéficiait d’un énorme territoire riche en ressources, avait peu d’intérêts économiques sur le continent. Ses investissements avaient, avant tout, pour but d’utiliser l’Afrique comme théâtre d’influence dans un contexte de guerre froide avec l’Occident », décrypte Anastasiya Shapochkina, maîtresse de conférences en géopolitique à Sciences-Po, spécialiste de la Russie. Au Mali comme dans le reste de la région, ces investissements massifs restent largement déficitaires pour les Soviétiques, dont l’expérience africaine se solde par un échec.

Après la chute de l’URSS en 1991, la Russie, ruinée, se recentre sur elle-même. Durant la décennie suivante, elle se concentre sur sa sphère d’influence privilégiée, constituée par les pays de l’ex-bloc soviétique. Mais à partir de 2012, alors que le Mali part en guerre contre les islamistes qui ont pris le contrôle du nord, Bamako va tout faire pour progressivement renouer une alliance militaire avec Moscou.

Le gouvernement signe d’abord un accord avec l’exportateur d’armes russe Rosoboronexport pour l’achat de 3 000 fusils d’assaut Kalachnikov pour un montant de près d’un million d’euros. Bamako, qui souhaite renouveler une partie de son équipement militaire russe acquis à l’époque soviétique, entame des négociations plus poussées avec Moscou.

En 2016, à la suite de la visite du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, au Mali, Moscou fait don de deux hélicoptères à l’armée malienne précisant alors que « d’autres équipements vont suivre ». En juin 2019, le président Ibrahim Boubacar Keïta conclut un accord militaire de défense avec la Russie. « L’intensification des liens militaires est dans l’intérêt de nos deux pays », commente alors Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, soulignant que Moscou souhaite contribuer à la « création de conditions pour une paix et une stabilité durables ».

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